Vu par Le Point (janvier 2012)
Rondeau Maltese
Après trois ans à Malte, Daniel Rondeau publie « Malta Hanina ». Puissant.
Par Christophe Ono-dit-Biot
L’usine à 20 ans, les parfums de Tanger à 30, la guerre au Liban à 40, la solitude en Champagne à 50, la diplomatie au champagne à 60, l’écriture et l’aventure toujours. Daniel Rondeau : écrivain électrique au dandysme musclé, gourmand de vivre comme il l’a décidé, volontiers justicier. Avec un côté Stones ou Johnny, son ami bête de scène, auquel il finit par ressembler, lunettes noires et tee-shirt itou au dos de son nouveau livre, accoudé au bastingage d’un pétrolier ravitailleur de la marine nationale au large de Malte. Un confetti minéral posé sur la Méditerranée, où cet écrivain gyrovague posa pendant trois ans, après Istanbul, Beyrouth et Carthage, ses valises et son sac de boxe. Malte, où il fut nommé ambassadeur en 2008, à l’instar d’un Jean-Christophe Rufin, d’une République qui avait compris que remettre de l’huile littéraire dans les rouages grippés de la diplomatie française pouvait produire du sens, mais aussi de l’action, puisque écrire un roman est toujours un passage à l’acte.
Malte, à laquelle il consacre son dernier livre au titre caressant, Malta Hanina, la « généreuse » dans la langue babélienne de cette île catholique où Dieu s’appelle « Alla ». Malte à laquelle, désormais ambassadeur à l’Unesco, il dit adieu par un beau livre, parce qu’on ne quitte pas une femme sans un mot tendre, même quand cette femme est une île. Et quelle île ! Un mirage absolu, oriental autant qu’occidental, féminin autant que masculin, antre du fantasme Calypso et ancre de ces chevaliers qui, chassés de Rhodes par Soliman, y accostèrent avec leur stock d’armes et d’icônes, un os du bras droit de saint Jean-Baptiste, et le crucifix d’argent que portait Godefroy de Bouillon en entrant dans Jérusalem.
Enthousiasme
Le livre de Rondeau est plein d’Histoire, plein d’histoires. Délice absolu que de s’y promener, guidé par son écriture physique, gorgée de senteurs et d’épique, dans les cryptes fraîches des églises pavoisées d’or et de damas rouge, et les profondeurs bleutées d’une mer où le soleil poudroie. Malte ? Ordre et désordre, limpidité du ciel et sang de la matanza, calcaire corallien et jardins d’orangers, nid de scorpions et royaume illuminé. On y croise Byron et Burgess, l’auteur d’Orange mécanique, qui lui dit que « l’énergie est préférable à la perfection ». On apprend que Malte fut la planque d’un bad boy nommé le Caravage, que le fond des criques y est tapissé par le marbre du mausolée d’Halicarnasse – l’une des sept merveilles du monde – et que les moines-soldats ne furent pas seulement les rois de la piraterie, mais aussi les inventeurs d’une excitante dolce vita.
Mais l’on se voit rappeler que la Méditerranée est aussi un cimetière liquide : Ulysse existe toujours, mais ne retrouve jamais Pénélope, « calciné par le sel » et étouffé par l’eau à quelques brasses des touristes qui font du snorkeling. Ulysses noirs, rêvant d’Europe, dont Rondeau conte le destin fracassé de néo-boat people. Et puis il y a « N. », la complice, la femme, l’amour. Toujours près de lui depuis l’usine, laissant vivre « l’Enthousiaste », parachevant l’enthousiasme, avide de humer le parfum des citronniers et de se baigner sous les étoiles, avec lui. « J’ai pris l’habitude, écrit Rondeau, de m’en remettre à cette bienveillance répétée du destin qui, par une succession d’étranges ellipses, m’a toujours arraché au confort d’être ce que j’étais, pour me jeter hors de moi, me défaire des liens de la répétition et me déposer sur le seuil d’un horizon nouveau. » D’où vient qu’en refermant ce livre on se dit que cela doit être possible de réussir sa vie ?
Malta Hanina de Daniel Rondeau (Grasset, 302 p., 18,50 euros).